Central Europe, de William T. Vollmann

Publié le par Le loup bleu

Vollmann est américain, Vollmann écrit un livre monde sur les débuts du vingtième siècle, Vollmann écrit sur la guerre, Vollmann écrit un livre sur la musique, Vollmann écrit un livre sur Staline, Vollmann écrit un livre sur Von Paulus, Vollmann écrit un livre sur Chostakovitch, Vollmann écrit un livre sur l'amour, Vollmann écrit un livre sur Käthe Kollwitz, Vollmann écrit un livre sur Stalingrad, Vollmann écrit un livre sur un général de l'armée rouge, Vollmann écrit la petite et la grande histoire, Vollmann écrit Central Europe.

Il y a mille livres sur l'histoire de cette période, il y a mille récits de personnage traversant cette époque. Central Europe décrit les hommes dans la grande page d'histoire dont ils font le courant et dont elle est le fleuve, Vollmann décrit l'eau telle qu'on la reconnait et telle qu'elle est au plus profond d'elle-même, l'alchimie précise de l'hydrogène et de l'oxygène, celle des hommes et le destin du monde. Mais comment parler du flux et des atomes sans changer d'optique, mêler la petite et la grande histoire comme les fibres inséparable d'un serpent cosmique et dans la perspective, dans l'immense désastre de la seconde guerre mondiale, voire plus qu'une zone politique, le choc et l'onde crépusculaire de notre monde moderne.

Il ne nous parvient des guerres du passé que des témoignages épars, des œuvres d'art, des monuments ; même un évènement planétaire aussi proche de nous que la WWII ressemble à une nuée de symboles culturelles dont les clichés édités en masses servent aujourd'hui la bio de vieilles stars hollywoodiennes. Mais après Central Europe, j'ai su une chose, avec certitude : il restera au moins de cette période troublée une œuvre profane, inspirée et lucide et puis une autre aussi, avec autant de conviction : Vollmann devrait servir d'étalon à tous ceux qui comme lui, voudront signer le Grand Œuvre. Voilà le prodige de cet homme, insuffler le destin, l'aventure dans cette compétition croissante entre les hommes et le regard que le monde porte sur eux.

La lecture de Central Europe est une morsure narcotique qui produit 1300 pages d'un voyage dans le temps puissant et rigoureux. Est-il possible qu'un homme seul, assis à sa table, ait pu traduire la structure ADN de l'Europe avec le langage dont il userait pour nous parler d'une histoire d'amour entre un grand musicien et une jeune russe, de la beauté des œuvres de Käthe Kollwitz, de la puissance de Wagner, du Somnambule (Hitler) et du Réaliste (Staline) ? Oui, bien sûr, c'est possible, et cet homme, William T. Vollmann, fait chanter toutes ces voix sur la nappe majeure de l'Histoire.

Un très très grand livre, pour un écrivain très loin devant les autres, peut-être trop loin pour que ses contemporains le rattrapent un jour.

Publié dans Littérature classique

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